Source: Publicité Girard-Perregaux, La Suisse Horlogère, vol 3, p.5, 1972

Introduction

L’émergence de la montre électronique en Suisse : une question de vision !

Les années 1950 marquent le début de mutations profondes pour l’industrie horlogère helvétique, alors considérée comme un leader mondial dans la production de garde-temps mécaniques pour montre-bracelet, tant sur le plan technologique qu’économique. Tandis que la Suisse fonde sa production sur un savoir-faire traditionnel, une expertise mécanique et une organisation cartellaire, où le contrôle institutionnel et fédéral garantit la qualité et le volume des pièces produites, la concurrence étrangère se renforce par l’automatisation des lignes de fabrication et l’intégration progressive de nouvelles technologies.

Conséquence directe de la rationalisation industrielle amorcée pendant la Seconde Guerre mondiale, la production de masse s’impose durablement dans les manufactures horlogères américaines et japonaises. Bien que la précision et la qualité — attributs phares de l’horlogerie suisse — restent des arguments de vente majeurs, l’arrivée sur le marché de modèles à bas coûts, destinés à l’exportation et produits en grande quantité, commence à inquiéter les instances horlogères suisses. Pour la Chambre Suisse d’Horlogerie, préserver la position de leader mondial implique désormais d’envisager l’automatisation de l’assemblage des pièces, mais également le développement de nouvelles technologies.[1]

En effet, l’électronique progresse à pas de géant outre-Atlantique. Quartz, transistors et circuits intégrés connaissent une succession de développements et d’applications qui laissent entrevoir leur diffusion massive dans les objets du quotidien. Dans l’univers horloger, ces technologies ne suscitent d’abord qu’un intérêt secondaire, avant de trouver une place stratégique dans les milieux scientifiques et militaires.[2] Les mouvements électroniques, en particulier ceux à quartz, révèlent en effet une précision exceptionnelle, précieuse pour les communications radio ou les mesures en laboratoire.

Si les premiers dispositifs électroniques restent volumineux — notamment en raison de leurs besoins énergétiques —, les avancées techniques ouvrent rapidement la voie à la miniaturisation, rendant envisageable la création d’une montre non mécanique. C’est la manufacture américaine Bulova qui frappe la première en lançant, à la fin des années 1950, l’Accutron : un modèle à diapason fondé sur un brevet d’origine suisse.[3] Dès lors, la course au calibre électronique pour montre-bracelet est lancée, en Suisse comme à l’international.

Lorsqu’il est question de l’émergence de la montre électronique en Suisse, il importe de garder à l’esprit la pluralité des enjeux de cette période. Le développement de la microélectronique ne concerne pas uniquement l’horlogerie, même si cette dernière en constitue un champ pionnier. Les technologies mises au point dans les centres de recherche intéressent aussi d’autres industries, comme le spatial. Par ailleurs, l’électronique apparaît comme une réponse aux besoins d’automatisation exprimés par les manufactures, tout en impliquant une profonde transformation des structures de production.

Dans ce contexte, la concurrence s’intensifie avec l’arrivée de calibres non mécaniques, qui viennent menacer la suprématie de l’horlogerie suisse. Les techniques marketing se renouvellent au gré des récessions successives, tandis que les codes esthétiques évoluent, parfois en rupture avec les standards établis depuis plusieurs décennies. Autrement dit, cette période se distingue par une effervescence technologique et industrielle remarquable, qui appelle à considérer l’industrie horlogère suisse dans son ensemble. Adopter une vision panoramique, presque satellitaire, s’impose dès lors comme un impératif méthodologique pour appréhender pleinement les dynamiques à l’œuvre. 

[1] Le Coultre, 2017 : p.54

[2] Katzir, 2020 : p.242

[3] Le Coultre, 2017 : p.58

Ressources bibliographiques

Cardinal, C., Jequier, F., Barrelet, J.-M., & Beyner, A. (1991). L’homme et le temps en Suisse, 1291-1991. Institut L’Homme et le temps.

Donzé, P.-Y. (2009). Histoire de l’industrie horlogère suisse : de Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000). Éditions Alphil – Presses universitaires suisses.

Le Coultre, R. (2017). 50e anniversaire de la création de la montre à quartz par le CEH. Société Suisse de Chronométrie. Bulletin N°84, pp. 53-59.

Marti, L. (2017). Le renouveau horloger : contribution à une histoire récente de l’horlogerie suisse (1980-2015). Éditions Alphil – Presse Universitaires Suisse.

Wellinger, R. (1964). L’électronique et l’horlogerie. Société Suisse de Chronométrie. Bulletin N°07, 33. (CIC1964-1-33)

Ressources bibliographiques indicatives

Institutions publiques Intitulé du fonds Dates Dossier/Document Intitulé du dossier/document cote/référence Dates limites Supports Producteurs Description Conditions d’accès Pertinence Notes :
Bibliothèque Publique de Neuchâtel (BPN) JCN – Jean-Claud Nicolet 1902-2016 Dossier Montres-bracelets électriques suisses JCN101-2.1 1971-1971 Papier Jean-Claude Nicolet Conférence de A. Beyner, maison Ébauches SA, sur les montres électriques/électroniques sur le marché en 1971, sorte d’état des lieux, avec des explications techniques et des détails sur les modèles commercialisés : Bulova Accutron, Mouvements Swissonic, Mosaba & Bêta 21, Girard-Perregaux Elcron, Omega Mégaquartz,… Excellent document à étudier pour une entrée en matière sur la technique des montres électroniques. Libre Haute Jean-Claude Nicolet est un maitre-horloger neuchatelois, connu pour ses nombreuses réalisations, qui a également rédigé pour le Journal Suisse d’Horlogerie.
ETH-Biliothek Gesellschaft zur Förderung der Forschung (GFF): Akten (réf. Hs 1439) 20è siècle Document Brief von Baumann, Ernst betreffend Transistoruhr Hs 1439:3753 02.07.1956 Papier ETHZ Point de vue du Prof. Baumann, de la division de recherche AFIF, sur la difficulté de faire une montre électronique, avec transistor, sorte de point de vue et d’analyse des technologies au milieu des années 1950. Libre Haute Bientôt numérisé
Musée internationa d’horlogerie (MIH) RUZS-Andreas Rusnyak 1957-2018 Document H 1/31 IH – Evolution des montres à Quartz RUSZ005 1969-1970 Libre Andras Rusznyak Informations issues de la Foire de Bâle 1969, avec de la documentation sur la Longines Ultraquartz, ainsi qu’un tableau récapitulatif des calibres électroniques sur le marché. Autorisation Haute